dimanche 30 novembre 2008

Lou Andreas-Salomé: la compreneuse par excellence




Elle avait la vie de son côté. Elle eut de la chance, mais aussi de l'énergie à revendre. Jamais femme n'eut autant de partenaires de tête à une telle hauteur : Nietzsche, Rilke, Freud, mais aussi Andreas (qui fut son mari), Rée, Wedekind, Schnitzler, Hofmannsthal... Eloquent tableau de chasse.



Elle les a inspirés, envoûtés, éveillés et rendus à eux-mêmes. L'œuvre qu'elle laisse, (Journal, Mémoires, récits, nouvelles, articles de presse, Lettre ouverte à Freud, contributions à la psychanalyse naissante, un essai sur Nietzsche) retient sans doute moins que les riches relations qu'elle noua avec tant de grands noms de son temps...

Lou fut une sourcière au jugement infaillible. De grands yeux bleus affamés, une lourde chevelure blonde nouée en tresse, le front vaste et buté, la bouche charnue au dessin parfait, cette femme de haut rang naquît à Saint-Pétersbourg, le 12 février 1861, au lendemain même de l'émancipation des serfs. Sa mère, Louise Wilm, issue des hautes sphères de la noblesse danoise, reçoit les félicitations du tsar, tout comme son père, Gustav von Salomé, Allemand des pays Baltes, descendant de huguenots d'Avignon, général de l'armée russe et conseiller secret du souverain à la cour impériale.

Une défricheuse d'êtres
Les passions qu'elle a déchaînées ne la brûleront pas. Elles consumeront ses partenaires. Cette solitaire, défricheuse d'êtres et de lieux -elle aura des amis partout dans le monde-, voyageuse impénitente, randonneuse aguerrie a l'âme fière et la gaieté chevillée au corps. C'est un buisson ardent, disait Rilke.
Elle aiguise tôt son esprit aux questions religieuses. Toute petite, elle secoue son Dieu d'enfance comme une enseigne sculptée par elle, avant de l'étrangler. Elle tente de cacher aux yeux de ses parents, très pieux, la mort de ce Dieu. Cette perte de la foi est presque contemporaine de la mort du père. La fillette protégée, la dernière et la seule fille d'une fratrie de cinq garçons traverse donc cette première crise, précoce et salutaire.

De cette douleur initiale Hendrik Gillot l'aide à sortir. C'est un prédicateur hollandais très libéral. D'emblée séduit par cette intrépide demoiselle "au charme masculin" qu'il rêve de modeler à sa guise, il la forme aux philosophies de Kant et de Spinoza, lui révèle les moralistes français mais aussi Rousseau, Kierkegaard. Il l'initie également à la poésie. Ils étudient de concert l'histoire des religions, l'Islam, l'hindouisme. Lou dévore. Freud, plus tard, évoquant cette faim de savoir, estimera qu'elle absorbe à ce point les idées d'autrui qu'elles en sont comme digérées par elle. C'est Gillot qui la baptise Lou. Amoureux d'elle, il veut divorcer pour l'épouser. Le charme est rompu. Lou s'enfuit.

La rencontre de Rome
En septembre 1880, elle s'établit à Zurich, entre à l'université où elle suit les cours de logique, d'histoire des religions et de métaphysique. Élève surdouée mais à la santé chancelante, elle doit partir en cure à Rome en avril. Elle est aussitôt introduite dans un cercle d'intellectuels brillants, d'artistes et d'écrivains tenu par Malwida von Meysenbug, l'une des premières disciples de Wagner, amie de Nietzsche et de Rée.

Ces derniers, très liés, tous deux rudoyés par la vie, découvrent l'exceptionnelle gamine. De quelles étoiles sommes-nous tombés pour nous rencontrer ? lui écrit un Nietzsche ébloui, au printemps 1882. L'auteur génial de la Naissance de la tragédie, en congé de l'Université de Bâle, alors boudé par le public qui l'avait idolâtré mais ne supporte pas qu'il se soit détourné de Wagner, est un grand malade : sujet à d'insupportables migraines, malvoyant, mordu par d'horribles crampes d'estomac, il erre de Nice à Gênes, de Rapallo à Rome, de Sorrente à Messine, à la recherche d'un climat sain.

L'aigle et le lion
Lou Andreas-Salomé, jeune créature tout à fait étonnante, dont Freud, des années plus tard, louera "l'intelligence redoutable", et qui repoussera la demande en mariage de Rée, devient, le temps d'un séjour de trois semaines à Tautenburg, la disciple fervente de Nietzsche qui n'en peut mais. Des entretiens en tête à tête, réglés par le philosophe, ouvrent à Lou les portes de la mort de la métaphysique, les énergies réinvesties dans l'Homme et non plus dans la morale et dans la religion. Nietzsche rêve de transmettre les conséquences ultimes de sa philosophie. À raison de dix heures par jour, les deux nouveaux amis dissertent avec une énergie sauvage. Le foulard rouge jeté sur la lampe à la nuit tombée assure à la scène son caractère méphistophélique.

Nietzsche dira de Lou qu'elle a la perspicacité de l'aigle et le courage du lion, même si elle demeure une jeune fille enfant. Après cette édifiante rencontre qui s'achèvera par une rupture, Nietzsche introduit Lou à Bayreuth où elle choque par son audace et la liberté de sa mise. À commencer par Elisabeth, sœur de Nietzsche, falsificatrice acharnée de ses œuvres, future adepte des thèses nationalistes et racistes du nazisme.
Un projet de vie commune avec Nietzsche et Rée, -une troïka - fait long feu. Nietzsche, bon prince, s'adapte aux désirs changeants de Lou en quête d'une cité, Vienne, Paris ou Munich, où tous trois s'abriter. Cette valse-hésitation finit tout de même par alarmer le philosophe. Lou n'est pas capable de le suivre sur ses hauteurs.

Désenchantement
L'amour se change en amertume. Le chamois des cimes n'est plus à ses yeux qu'un vulgaire chat doublé d'une enfant immature, figée dans la caricature du culte du moi. Nietzsche, déçu, se voit floué. Le voilà taquiné par des envies de suicide, sauvé in extremis par l'opium. Une fois passée l'épreuve du désenchantement, il est mûr pour Ainsi parlait Zarathoustra, dont il rédige en février 1883 la première partie en seulement dix jours. La fulgurance de sa prose y touche à la poésie. Lou et Nietzsche ne se reverront plus.

Des années plus tard, Lou écrira son Friedrich Nietzsche à travers ses oeuvres (1894), ouvrage qui aborde la philosophie de Nietzsche par le biais de l'enracinement biographique. Le discernement exceptionnel de Nietzsche, le soupçon natif de l'immoraliste qui pointe déjà, sa manière d'envisager la religion comme un facteur d'avilissement de l'homme, la puissance de feu de son appel à philosopher à coup de marteau, son génie, enfin, pour sonder le tréfonds des êtres, serviront de sûr terreau au travail de psychologue dont Lou se fera une spécialité et constitueront de solides assises à sa pratique de la psychanalyse.

Embrasser dans son ensemble cet étrange objet qu'est une vie

À 26 ans, elle rencontre Friedrich Carl Andreas qui en a 41. Ils se marient. Elle obtient de lui qu'ils n'aient pas d'enfants. De nombreuses rencontres ponctuent cette période. Le couple marque un net intérêt pour le théâtre en Allemagne mais aussi en France où André Antoine invente la mise en scène moderne.
En avril 1897, alors âgée de 36 ans, Lou fait la connaissance du poète Rilke, de quatorze ans son cadet. Elle se fait la mère amante de ce grand cyclothymique. Elle le rebaptise Rainer en lieu et place de René, le guide sur le chemin du dépouillement de l'écriture. Elle sera tout pour lui. Freud dira comme une mère et une muse attentive. Cette passion dure trois ans. Lou organise la rupture, arrachée, lui dit-elle, à cette réalité de tes débuts qui nous avaient fait apparaître comme tirés d'une même matière. Lors du voyage en Russie entrepris en commun, tout est devenu pathologique. Malgré la séparation, ils resteront proches de loin, ainsi qu'en témoigne l'ampleur de leur correspondance.

En attente de la psychanalyse
Le dernier grand homme de Lou, Sigmund Freud, ressortit à l'évidence à la figure du père. Elle le connaît en 1911, lors du Troisième congrès international de psychanalyse de Weimar. La femme de lettres dont il sera épris (sans jamais franchir la limite des convenances), lui écrira : Ma vie était en attente de la psychanalyse depuis que j'ai quitté l'enfance. Elle est rapidement acceptée dans le premier cercle des pionniers aux côtés de Rank et Ferenczi.
Elle devient l'amie intime d'Anna Freud, fille du maître qu'il a lui-même psychanalysée. Lou enrichit la théorie de ses propres analyses et se révèle fine praticienne. Freud écoute ses observations sur le monde féminin, même si un désaccord tacite survient à propos de la religion, qu'il place au registre des illusions quand Lou reverse la perte de Dieu au crédit des énergies vitales.
La "compreneuse par excellence" (Freud), vivra en dernière instance une relation triangulaire avec Freud, alors atteint d'un cancer de la mâchoire et avec Anna, si inhibée devant les hommes et si attachée à un père qui le lui rend trop.
Le 5 janvier 1937, Lou Andrea-Salomé meurt dans son lit. De tous les éloges funèbres, celui de Freud sera le plus éclatant. Il loue la discrétion dans le travail d'une "personnalité demeurée dans l'ombre, d'une modestie peu commune".
Dans ses Mémoires, qu'elle voulut posthumes, elle écrivait : Plus je me rapproche du terme de mon existence, plus il me devient possible d'embrasser dans son ensemble cet étrange objet qu'est une vie.

Pudique, Lou le fut au point d'opérer un tri sévère dans ses archives, miroir sélectif, hautement narcissique, où toute émotion brute était biffée.

BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages de Lou Andreas-Salomé
:

Ma Vie. PUF 1978.
Friedrich Nietzsche à travers ses œuvres. Grasset 1992.
Correspondance avec Sigmund Freud. Gallimard 1970.
Correspondance avec Rilke. Le Nouveau Commerce 1994.
Carnets intimes des dernières années. Hachette 1983.

À propos d’elle:

H.F. Peters: Ma sœur, mon épouse. Gallimard, collection Tel, n°10.
François Guéry: Lou Salomé, génie de la vie. Calmann-Lévy 1978.
Stéphane Michaud: Lou Andreas-Salomé, l’alliée de la vie. Seuil 2000.
Jean-Pierre Faye: Nietzsche et Salomé, la philosophie dangereuse. Grasset 2000.


Texte écrit pour présenter une Humeur Vagabonde sur RSR Espace 2,en mars 2004

William Morris, du papier-peint à l’utopie














Designer, socialiste, humaniste, un idéaliste sous Victoria
Désordonné, hirsute, enthousiaste, mélancolique secrètement, il fut l’inventeur du home anglais, entre cent projets et cent passions


Omniprésent au Royaume-Uni, à peu près inconnu ailleurs, du moins si on en croit sa très succincte bibliographie en français. Il fut le designer le plus important de la fin du XIX ème siècle britannique, le fondateur du mouvement Arts & Craft, celui qui donna ses couleurs au home anglais jusqu’aujourd’hui. De surcroît, l’une des voix essentielles du socialisme anglais.

Les pèlerins de Ruskin
Impossible de le séparer du mouvement préraphaélite. Comme les Rossetti ou Burne-Jones, il doit tout à la pensée de Ruskin. Son anti-machinisme, son anti-modernisme, sa nostalgie d’un passé idéalisé (le temps des cathédrales, des corporations, des artistes-artisans anonymes) sont en arrière-plan des projets décoratifs de Morris & Co, comme des idées politiques de Morris, des poèmes qu’il écrit, des traductions qu’il fait de sagas islandaises, des livres qu’il édite, etc.

Un orateur de plein vent sur une caisse en bois

L’homme est hirsute, désordonné, distrait, hyperactif, drogué de travail, il s’intéresse à mille choses, milite à la Democratic Federation, puis à la Socialist League, harangue les foules en plein vent, dessine des papiers peints et des chintz (toujours réédités), fabrique des tissus, les teint (avec des colorants naturels, la garance ou l’indigo, à rebours de la révolution industrielle), reçoit ses clients et ses sous-traitants, et surtout dessine, dessine inlassablement des fleurs, des lianes, des oiseaux et mélange les couleurs en artiste qu’il est.

La Maison Rouge
Il aurait dû devenir clergyman. D’origine bourgeoise (la upper middle class), il a une enfance et une jeunesse rêveuses (le père est agent de change et spécule sur les mines de cuivre). Étudiant à Oxford, il visite durant les vacances, en compagnie d’Edward Jones (futur Burne-Jones), les cathédrales et églises gothiques du nord de la France. Il trouve là son chemin de Damas: il sera architecte.
Le temps de quelques études express chez M. Street (l’architecte des faussement gothiques Law Courts de Londres) et William Morris se lance dans la décoration du manoir de briques, la Red House, où abriter ses amours avec la belle Jane Burden (qui sera l’une des muses des préraphaélites).

Muses préraphaélites
Son charisme, son enthousiasme en feront le leader (ou l’un des leaders, Dante Gabriel Rossetti ne l’est pas moins) de ce groupe d’amis désireux de restaurer le sentiment artistique dans un pays qu’ils estimaient sinistré à cet égard. Burne-Jones fut le grand pourvoyeur de cartons de tapisseries, de projets de vitraux, de meubles peints façon Renaissance florentine de la coopérative qu’ils créèrent. Morris en fut l’âme. Leur univers se peupla de muses penchées aux allures d’éphèbes.

Du West End à l’East End

Il ne songea guère à la politique jusqu’au moment (à la fin des années 1870) où il s’engagea (toujours le Moyen-Age !) dans la défense des monuments menacés par des restaurateurs trop zélés (les Viollet-le-Duc locaux).
Insensiblement, lui qui détestait les réunions publiques, les discours assommants, passa de la défense des vieilles pierres à celle des hommes. On était dans l’Angleterre de Dickens et de Marx, l’exploitation de la classe ouvrière était à son maximum de sauvagerie.
Avec la fougue qu’il mettait à tout ce qu’il entreprenait, Morris prit la plume, la voix, s’investit, milita, publia des textes théoriques ou utopiques, donna des conférences, bref, comme toujours, fut au premier rang.

Typographies
L’une de ses dernières initiatives, la Kelmscott Press, rassemblait tous ses enthousiasmes: il y édita (et les caractères, les vignettes, les reliures, le choix des papiers, les traductions éventuellement, tout était conçu par lui) des textes-phares selon lui, Chaucer notamment.
Il retrouvait là l’esprit des Manuce à Venise ou Plantin à Lyon, ces éditeurs-artistes-humanistes, qui comme lui n’avaient qu’une aspiration, créer des objets parfaits. L’homme étant, bien sûr, la mesure de tout et son épanouissement le but unique.


Bibliographie
Georges Vidalenc : William Morris. Paris, librairie Alcan, 1920
Arthur Clutton-Brock : William Morris. Parkstone, 2007 (en français)
Linda Parry (dir.) : William Morris. Philipp Wilson/V.& A. Museum, 1996 (en anglais, mais très complet)
Linda Parry : William Morris, la tulipe et le saule. Revue FMR n°14 mai/juin 1988
Paul Meier : La Pensée Utopique de William Morris. Paris, Éditions sociales, 1972
Mario Praz : Le Pacte avec le serpent, tome I. Bourgois, 1989 (plusieurs articles sur les préraphaélites)

Et aussi
William Morris : Nouvelles de Nulle Part. Éd. bilingue: Traduction, introduction et notes par V. Dupont. Aubier-Montaigne, 1957, reprint Aubier, 2004.


Article pour une Humeur Vagabonde sur RSR Espace 2
Image: Salle décorée par Morris au Victoria & Albert Museum. Photo ChS

Ce vice impuni
















La plus mignonne des petites souris, connaissez-vous cela ? La plus mignonne des petites souris, c’est l’entête d’un paragraphe que j’aime beaucoup du Dictionnaire égoïste de la Littérature française de Charles Dantzig (chez Grasset).
Oui, parce que figurez-vous qu’on avait demandé un jour à François Mitterrand (on, c’est Élie Wiesel) quels étaient les premiers livres qu’il avait aimés et Mitterrand pompeusement avait répondu Balzac, Stendhal, Flaubert “ceux de la bibliothèque de mon père”. Et là Dantzig répond : “Arrêtez votre pipeau, moi mon premier livre à moi, c’est La plus mignonne des petites souris...”
C’est celui qu'il adora quand il avait cinq-sept ans, celui où il prit le goût de lire, l’étrange folie d’aimer lire.

Parenthèse : moi qui vous parle, au même âge c’était Les huit poneys de Martangy, un livre de la petite collection Rouge et or, l’histoire d’un petit blond (sans doute que j’aurais voulu être un petit blond) qui dressait les poneys broutant dans le pré d’à côté, et ce cirque improvisé devenait un triomphal succès, qui valait au petit garçon d’être aimé de tous ceux qui n’avaient pas cru en lui et, conséquence de cela, désormais mon projet dans la vie, ce fut de devenir n’importe quoi dans un cirque, clown, acrobate, jongleur, monsieur Loyal... si bien que dès qu’un chapiteau, Pinder ou Amar, arrivait sur la place, je fonçais voir les monteurs dresser la toile, des fois qu’ils m’emporteraient, rien n’étant plus beau qu’une vie d’aventures dans une roulotte. Car tels sont les prodiges de la littérature.

On aurait bien du mal à résumer ici le livre de M. Dantzig, 960 pages, qui ressemble parfois à un tir aux pigeons, quelques-uns en prennent pour leur plumage et leur ramage, Aragon, Beauvoir, Breton, Colette, Gide, Rousseau, Yourcenar -pas grave ! ils s’en relèveront- et puis c’est le droit de tout un chacun, c’est même un devoir d’avoir quelques solides détestations, d’autant que pour ce qui est de Charles Dantzig, il en est beaucoup qu’il aime, des écrivains, qu’il idolâtre même, Proust au premier rang (j’adore cette définition : Proust, Marcel : écrivain austro-hongrois ayant écrit en français).

Enfin, bref, c’est un dictionnaire, et quoi de plus exquis que de laisser aller au feuilletage indolent. Savez-vous à ce propos qu’il se vend chaque année en France 700 000 Petits Larousse, ce qui est le nombre de naissances dans ce pays qui se dit littéraire (ou se disait tel), et où en tout cas chaque bébé naît avec un dictionnaire dans son moïse.
Pour tout dire, ce M. Dantzig (qui travaille comme éditeur chez Grasset) est une sorte de descendant des Hussards, Blondin, Déon, Jacques Laurent, etc., donc il aime Stendhal, Larbaud, Montherlant, Chamfort, Benjamin Constant ou Paul-Jean Toulet, mais aussi Jules Laforgue et Diderot, il aime ces vieux mauvais livres qu’on retrouve dans les bibliothèques des maisons de campagne, il aime le style sec, il déteste le pathos et les donneurs de leçons, il aime les titres de Frédéric Dard, le genre Bouge ton pied que je voie la mer ou Remets ton slip, gondolier, et ainsi de suite, 960 pages d’amour de la lecture et des livres, on n’en finirait pas.

Il raconte qu’autrefois (il a aujourd’hui la quarantaine) autrefois dans son placard à secrets de tout jeune homme, il y avait La vie antérieure, de Baudelaire, recopiée au dos d’un poster (donc domaine privé) et qu’il y avait au fond dudit placard, gravées sur le mur et cachées par des livres, des initiales, celles des très aimés : O.W. pour Wilde, J.L. pour Laforgue, F.S.F. pour Francis Scott Fitzgerald et H.M. pour Montherlant.

Livre agaçant (par bonheur !), insupportable parfois, plein de conseils pour qui voudrait écrire, c’est à dire en somme, et peut-être hélas, à peu près tout le monde. Par exemple, règle n°1, des faits, des faits et encore des faits, jamais d’explication, pas d’idées générales ; le rythme avant tout (pas forcément rapide, c’est une histoire d’oreille musicale) ! Et ceci : Écrire sur les personnages comme on parle des personnes, par bribes, en les découvrant lentement, sinon jamais. On ne sait jamais rien des êtres. Et puis encore : Ce qui a l’air en trop vient souvent de ce qu’il n’y en a pas assez et par exemple Proust se trouve lui-même à partir du moment où il rallonge. Mais la brièveté peut aussi donner des merveilles, tel Diderot à propos du neveu de Rameau : Le matin, il a encore une partie de son matelas dans ses cheveux. Et qu’est-ce qu’on pourrait rajouter à cela ?

Critère du bon écrivain : c’est qu’il donne envie d’écrire. Et qu’est-ce qui fait le bon livre ? En tous cas pas le sujet. Un érudit un jour fit le compte : il trouva qu’il y a 27 situations romanesques, ni plus ni moins. Tout ce qui compte, c’est la manière, appelons cela le style : une belle-mère tombe amoureuse de son beau-fils, ça donne soit Phèdre soit du Feydeau.

Quoi qu’il en soit on écrit trop. Déjà Voltaire disait que si ça continuait comme ça, il arrêterait d’écrire. Et Léautaud affirmait : On ne trouve plus de femmes de ménage, elles écrivent toutes. Léautaud, tiens ! une phrase de lui soulignée par Dantzig : J’aimais déjà les choses légères, vives, railleuses, ce qui est triste avec gaieté, sensible sans emphase. “Ce qui est triste avec gaieté“... C’est charmant. C’est tout à fait nous.

Oui, on écrit trop. Savez-vous qu’entre 1450 et 1550, il parut 35000 livres. 35000 titres s’entend. C’est beaucoup, direz-vous ! Vous plaisantez, ça n’est rien : il en paraît chaque année un million de nos jours. Sur l’ensemble de la planète naturellement, mais elle est minuscule cette planète. Il y a de l’eau partout et d’ailleurs personne ne lit plus. Chaque année en France on édite 500 millions de livres, on en vend 400, donc 100 millions vont au pilon, c’est une affaire entendue, ça figure même au contrat préalable, on en fait des ballots de deux mètres cubes cerclés de fil de fer.
Mais qu’importe le pilon, ce qui compte ce sont les mots : Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle? dit Racine dans Andromaque et Guitry, lui: Elle a été très jolie, du moins, j’ai été son amant. “Du moins” est délicieux.

Laisser quelques mots, c’est tout ce qu’on aimerait... De frais parfums montaient des touffes d’asphodèles... Ah ! être Voltaire et avoir dit : Le bonheur est un état de l’âme ; par conséquent, il ne peut être durable. C’est un nom abstrait composé de quelques idées de plaisir.
Être Perrault, celui des Contes et avoir écrit : Il n’est point de laides amours ou avoir soupiré comme Françoise Sagan qui avait à la fois de la grâce et de la négligence, de la mélancolie et du nonchaloir : Ah ! je ne dirai jamais assez les charmes de la vie quand on l’aime !

Chronique dans les Matinales d'Espace 2, 10 octobre 2005
Image: Bibliothèque, Vienne (Autriche)photo ChS

Rembrandt dans le clair-obscur


















Combien de fois s'est-il observé dans la glace ? Soixante fois, cent fois ? Quels sont les deux thèmes favoris de Rembrandt ? D'abord lui-même, ensuite la peinture. Ou l'inverse.

Oui, il est sans doute le premier qui consciemment fait de la peinture l'objet de son travail. La matière picturale, les mystères de la couleur, l'Irréel. Il est le contemporain de Velasquez, de Rubens, de Poussin. Il connaît tout de la peinture qui se fait à Rome, à Venise, à Paris. Mais, solitaire, il n'en fait qu'à sa tête. Il peint son monde intérieur, sa vie intime, ses femmes, ses enfants, sa vieille mère, sa décrépitude. Il ne songe plus à plaire, il se détache pour ne plus respirer que dans le monde qui se déploie sur la surface du tableau.

Une enfance calviniste
Leyde, entre deux bras du Rhin, est une ville de canaux, où l'on patine l'hiver. C'est surtout une ville intellectuelle et travailleuse. L'Université est la fierté de la ville. On y vient de toute l'Europe y étudier la philologie, l'astronomie, l'anatomie. Les imprimeurs, Plantin, les Elzevier, répandent le fruit de cette fièvre sérieuse d'étudier, de comprendre le monde.

Dans les rues, sur les quais, une foule se presse, vêtue de noir. Seule la qualité du drap révèle que tel est un riche bourgeois et tel autre un homme de peu. Et les tissus, c'est l'autre spécialité de la petite ville. Deux mille tisserands sur quarante mille habitants. Le drap, la futaine, la serge, chaque spécialité a sa corporation, ses inspecteurs de la qualité, sa guilde. Et les habitants des Provinces-Unies n'aiment rien tant que de laisser une trace d'eux-mêmes et se faire portraiturer en échevin ou en membre d'une société de tir ou en notable.
Voilà le quotidien des peintres. Tirer des portraits ressemblants. Sans essayer de faire de l'art.
C'est qu'on n'est pas en Flandre ici ! On n'aime pas le grand spectacle à la Rubens. On a banni les images des églises, comme propres à détourner des vraies valeurs; la Passion n'est pas un sujet de délectation artistique.

La lumière, c'est la pensée
Or pour Rembrandt, tout peut être peint et d'abord cette Histoire Sainte dont dès son enfance dans la grande maison de briques qui fait face au moulin paternel il a fait l'objet de ses rêveries. L'ânesse de Balaam, le Roi David, les Pélerins d'Emmaus, tout cela a formé son imaginaire. C'est cela qu'il peindra, et non pas des scènes de cabaret, ou des intérieurs hollandais bien nettoyés, ou des évocations de doux paysages rustiques.

Son esprit est naturellement mythologique. Il rêve sur l'antiquité comme il rêve sur le merveilleux biblique. Tout se passe à l'intérieur des consciences. Il a vingt-cinq ans quand il peint Le Philosophe en méditation, dont le sujet est tout simplement la Pensée. Comment faire de la peinture avec cela ? Rembrandt n'a recours qu'à un symbolique escalier à vis, qu'il peint dans un clair-obscur qu'il invente. Ainsi la douce lumière qui caresse le crâne du vieux penseur aux airs de rabbin ou de prophète est-elle l'image même de l'esprit. La lumière, c'est la pensée.

Riche et célèbre
Il y a avant le Rembrandt des dernières années, mis en faillite et ne quittant plus son atelier, un autre personnage: glorieux, superbe même, s'offrant une grande maison de treize mille florins, où il installe ses élèves et ses collections. Dans la prospère Hollande, Rembrandt comme tout un chacun spécule, il investit dans ces Compagnies dont les vaisseaux courent les mers, installent des comptoirs, emplissent des entrepôts.
La porcelaine, les émaux de la Chine, les armes damasquinées, les tissus brochés, il aime amasser tout cela. Surtout les œuvres d'art. A Amsterdam, l'art se vend, a une cote, des marchands. Ce port est le premier du monde, tout y converge, toute la culture du monde, toute la peinture, Raphael, Georgione rejoignent sur les murs de Rembrandt Lucas de Leyde, le vieux maître dont le Jugement dernier à l'Hôtel de Ville de Leyde lui a jadis donné l'envie de devenir peintre.

Il y a un Rembrandt jeune, riche, heureux, amoureux de Saskia, dont les fossettes et l'air gourmand de la vie sont une invite à prendre les pinceaux.
Mais il y aura les revers de la vie, les enfants morts en bas âge, la mort de Saskia, les dettes qu'on arrive plus à rembourser, la faillite.

Une vie vendue à l'encan
Il faudra trois jours aux huissiers pour dresser l'inventaire de tout ce que contient la grande maison, tout ce qui partira à des prix de braderie.
Il y aura la solitude, le déshonneur, la mauvaise réputation. Et ces Messieurs du Consistoire qui le convoquent pour lui signifier qu'il est extrêmement scandaleux qu'il vive en adultère public avec Henriette et que cela porte le nom de proxénétisme...

Traiter l'admirable Henriette Stoffels de prostituée, elle qui porte à bout de bras Rembrandt déchu, Rembrandt passé de mode, Rembrandt qui ne vit plus que dans son monde ! Le monde de la peinture, où Henriette caressée d'un pinceau plein de compassion n'est plus que l'effigie de la bonté.

Le rire de Rembrandt

Mort de Saskia, mort d'Henriette, mort de Titus... On dirait que toute la vie de Rembrandt ne se dessine que pour aboutir à une ultime image, celle d'un vieil homme qui rentre de l'église après les obsèques de son fils, un vieil homme aux traits avachis, à la silhouette lourde, qui donne la main à une petite fille, Cornelia, un vieillard de soixante ans, qui retourne à son atelier et peint une fois de plus son image et qui parce qu'il sait que sa royauté n'est pas de ce monde se peint... en train de rire.

Et qui fait surgir des profondeurs de l'ombre La Fiancée juive, image de l'acharnement que mettent les hommes et les femmes, en dépit de tout, à se témoigner de la tendresse.


Article pour une Humeur Vagabonde sur RSR Espace 2
Image: Rembrandt par lui-même, Musée de Vienne (Autriche), photo ChS

Caravage, le seigneur des ténèbres













L’expression “le seigneur des ténèbres” est de Roberto Longhi, grand maître italien des études caravagesques, celui qui, en organisant la première grande exposition monographique en 1951, fit sortir Caravage d’une relative confidentialité. Depuis lors, le peintre est devenu l’un des plus populaires, moitié pour son destin romanesque et intrigant, moitié pour la révolutionnaire modernité de son art.

Romanesque
Certes son destin n’est pas ordinaire, ni son caractère. Ombrageux, mal embouché, violent, c’est un marginal, un Jean Genêt plus encore qu’un Pasolini. Il se plait sur les confins de la société, parmi les prostitué(e)s de la Rome des Papes. C’est qu’il recrute ses modèles loin de l’idéalisation raphaélienne ou de l’héroïsme michelangelesque. Dans ses tableaux, on verra des portefaix, des filles des rues, des artisans, des mendiants, qui seront martyrs ou bourreaux, apôtres ou pèlerins d’Emmaüs. Caravage est un réaliste, peut-être le premier.
Il les emmènera dans son atelier aux murs peints en noir, éclairé par des soupiraux. La lumière chez Caravage frôle les corps, accroche une main ou un front, elle les fait surgir de la nuit. Des ténèbres qui environnent les hommes, menaçantes, ténèbres de la mélancolie, de la solitude, de l’ignorance, du tragique.

Broyer les pigments
Né à Caravaggio en Lombardie d‘où son surnom), Michelangelo Merisi est encore jeune adolescent quand son père, architecte ou intendant, le met en apprentissage chez des peintres de second ordre. Broyage des couleurs, préparation des fonds, application des glacis, il apprend le métier. Il y acquiert une technique hors pair. Voir ses natures mortes, sa maîtrise des tons rompus, du clair-obscur. Ce révolutionnaire connaît tout (et très jeune) du grand métier classique. Voir aussi sa science aiguë de la perspective, de la construction. S’il n’y avait pas eu la nouveauté renversante de son regard sur les hommes, son jeu inouï avec l’ombre et les éclairages, il aurait été quand même un des plus grands.

Les éphèbes
Pourquoi quitte-t-il Milan ? Quelques frasques ? Un biographe parle, déjà, d’un assassinat. On ne prête qu’aux riches. Il galère quelque temps chez des marchands de tableaux, il réalise des copies payées à la pièce, mais il peint déjà pour lui-même. C’est l’époque des Bacchus, sa période élégiaque. Par chance, sa manière, son inspiration (les éphèbes) lui valent la protection de cardinal Del Monte, l’un de ces grands collectionneurs qui se livrent concurrence dans Rome (le plus fameux étant le cardinal Scipion Borghèse).

Un grand théâtre religieux
Par Del Monte, Caravage obtient des commandes importantes, la chapelle Contarelli à Saint-Louis des Français, la chapelle Cerasi à Santa Maria del Popolo. Le cycle de saint Matthieu, la Conversion de saint Paul, le Crucifiement de saint Pierre, lui permettent de prouver sa science de la lumière, l’originalité de son regard sur les épisodes les plus rebattus de l’écriture sainte.
Car, ne l’oublions pas, Caravage est d’abord un grand peintre religieux. Contraste entre sa vie dissolue et les toiles que lui commandent prélats et congrégations. Rares sont les thèmes mythologiques: les David et Goliath ne sont que reprises du thème sanglant de Judith et Holopherne ou de Salomé et Jean-Baptiste. Prédilection pour les thèmes sanglants. Pour la violence. Sentiment tragique de la vie.
Toutefois, il faut être attentif à cette lumière (toujours !) qui irradie de la figure du Christ, manifestation purement picturale du divin. Et de la foi du peintre, qui n’est pas un quelconque imagier.

Le fuyard

Il est célèbre, même si controversé, il gagne beaucoup d’argent, il en dépense sans doute beaucoup. Sa vie (si brève de toutes façons, trente-neuf ans) va changer radicalement le 28 mai 1606. Ce jour-là, il assassine Ranuccio Tomassoni , aussi dissolu que lui. Ils ont partagé une maîtresse, Filipe Melandroni, qui posa d’ailleurs pour Caravage. Duel, bataille rangée ? Le prétexte en tout cas est une dette de jeu. Le peintre s’enfuit de Rome, il est hébergé dans le Latium par le duc Marzio Colonna, il apprend là qu’il est condamné à mort par contumace et banni de Rome. Il s’installe alors à Naples, loin de la justice hispano-papale. Sa peinture y prend de nouvelles tonalités, piétistes, intériorisées (son Saint François), mystiques (la Cène à Emmaüs). Aspire-t-il à quelque absolution ?

Le cachot de la Valette
Mais décidément il est devenu l’homme aux semelles de vent. Lui fait-on miroiter que, s’il était admis dans l’Ordre de Malte, il échapperait à la justice romaine ? Le voici à La Valette, il y peint une gigantesque Décollation de saint Jean-Baptiste (toujours la mort) et des portraits du grand maître de l’Ordre, Alof de Wignacourt.
Hors de danger ? Nullement. Wignacourt le fait jeter au cachot. Sans doute a-t-il découvert ce que le peintre lui avait caché, l’assassinat, le bannissement, la condamnation à mort.
Caravage est expulsé et exclu de l’Ordre de Malte. Qu’importe ! Il s’est évadé de sa prison, il a trouvé une embarcation pour Syracuse

Le sable noir

En Sicile, comme partout, il peint. Et il peindra à Messine où on le retrouve ensuite. Chaque fois, des séjours de huit, dix, douze mois. Mais c’est au pardon du pape qu’il aspire. Il lui envoie des toiles où le pontife pourra lire ses remords, mais il veut plaider lui-même sa cause.
Il s’embarque avec quelques affaires et un Saint Jean Baptiste qu’il a peint. Il aborde à Porto Ercole. Là, que se passe-t-il ? La malaria, un assassinat par les sbires de Wignacourt, la suite des blessures graves reçues lors d’un tabassage à Naples ? On ne sait pas. Caravage meurt, misérablement, sur le sable noir de la plage de Porto Ercole. Comment ne pas penser à la mort de Pasolini ?

Restent les toiles. Une petite centaine, les attributions de certaines ne sont pas sûres, on en retrouve parfois de nouvelles. Reste surtout le caravagisme : l’École napolitaine autour de Mattia Pretti, les Espagnols autour de Velázquez, La Tour en Lorraine, puis Géricault, Courbet, Manet et jusqu’à Francis Bacon, la postérité du peintre aventurier dans sa vie comme dans son œuvre sera immense.


Article pour une Humeur Vagabonde sur RSR Espace 2
Image : détail d'une toile de Caravage au Musée de Vienne (Autriche). Photo ChS

Rubens à Anvers : la puissance et la gloire














C'est le plus peintre de tous les peintres : la couleur, la composition, l'emportement, la science, le far presto, l'imagination, la puissance et la gloire... Il a tout. C'est un monde. Il a même ses femmes, qui n'appartiennent qu'à lui : il rêve toute sa vie d'un certain type féminin et puis, en secondes noces, il épouse Hélène, elle a seize ans, lui cinquante-quatre ; c'est le corps qu'il avait imaginé ; il la représente parée ou nue et sa peinture comme lui-même trouvent en elle une Jouvence ; son bonheur de peindre comme son bonheur tout court éclatent comme jamais.

Tintoret avait écrit son programme sur le mur de sa chambre : "le dessin de Michel Ange et la couleur de Titien..." Ce programme, ce fut aussi celui de Rubens (ajoutons-y l'emportement de Tintoret, justement).
Est-ce qu'il y aurait eu Rubens sans l'Italie ? Sans le séjour à Mantoue et les escapades à Rome ? Est-ce qu'il y aurait eu Rubens sans la Contre-Réforme ? Il est l'incarnation du Baroque en peinture, il est le peintre dont le Bernin et Borromini sont les homologues en architecture, l'évocateur d'un monde mouvant, effusif, instable, mu par une force invisible, secrète, souveraine.

Il est aussi celui dont l'Église d'après le concile de Trente (et singulièrement les Jésuites) ont besoin. Son catholicisme est charnel, même la Passion du Christ, même les scènes de martyre deviennent des théâtres sensuels, les scènes les plus tragiques éclatent de muscle, de couleur, de virtuosité, d'ardeur, de volupté.

L'atelier
En même temps que cela, le plus organisé, le plus bourgeois des hommes. Sa maison est la plus belle d'Anvers, il accumule les richesses, les terres, les marbres, les intailles, il s'empare de tout. Il ne néglige jamais le souci de sa gloire, il veut être dans le monde de l'art, de l'irréel, l'équivalent des puissants qu'il côtoie dans le monde du pouvoir.
En a-t-on assez parlé de l'usine Rubens, des tableaux faits en collaboration ! D'abord, rappeler que l'artiste solitaire, le créateur ombrageux, à l'époque, cela n'existe pas. Comme chez les artisans ébénistes ou bronziers, un artiste c'est un maître, entouré de ses élèves et des assistants. Dans le vaste atelier du Wapper, tout est organisé pour la production de tableaux (et n'oublions pas que Rubens en a donné 1300 !).

La journée Rubens
Dans son petit cabinet, le peintre, qui s'est levé à quatre heures du matin, travaille à ses esquisses, il dessine magnifiquement, à la mine de plomb ou au pinceau, l'image de premier jet qui est l'expression fulgurante de son génie (voir les esquisses conservées au Musée de Bruxelles).
Puis ces esquisses sont remises aux assistants. Charge à eux d'en effectuer l'agrandissement, la mise au carreau. Chacun peut y apporter son talent particulier : Jordaens les chairs, Snyders les animaux, les fourrures, les fleurs, Van Dyck les tissus (nous citons là les collaborateurs les plus fameux, mais il en est des dizaines d'autres, sans compter les élèves).

Pour ce faire, on est passé dans un deuxième atelier, plus grand, qui n'est pas encore le grand atelier, magnifique, orné de bustes de philosophes et de statues imitées de l'antique, la salle du trône de la peinture, où le tableau est enfin apporté et où le maître peut procéder à son achèvement : il se réserve bien sûr les visages et les mains, il pose ici un reflet, là une lumière, une ombre s'il le faut, il promène son pinceau à longs poils souples, le but étant de retrouver dans la toile achevée l'impromptu, le désinvolte, le vif de l'esquisse initiale. Il est bien évident que plus la part du maître est importante, plus le tableau est cher.

Courir l'Europe
Sa vie personnelle n'a rien d'un tumulte. C'est un homme d'intérieur, il ne sort guère de chez lui, sauf pour la messe le matin et sa promenade à cheval vers cinq heures du soir. Ce Flamand ne mène pas une vie très flamande. Il mange peu, ne boit guère, ne joue pas. Derrière les murs austères de sa façade sur rue, il travaille. La maison d'habitation est sans ostentation, lustres de cuivre et murs recouverts de cuir de Cordoue. L'atelier a beaucoup plus d'orgueil, mais c'est le lieu des merveilles.

Seuls luxes de l'endroit : le cabinet d'art où Rubens installe ses collections (Titien, Holbein, Dürer, des camées, des marbres, etc.) et le grand jardin où on entre en passant sous un vaste portique à l'italienne, évidemment dessiné par lui. Dans une Anvers ruinée par la guerre avec les Provinces Unies et par le blocus de l'Escaut, dans cette ville désertée où pousse les mauvaises herbes, Rubens s'offre le plaisir égotiste d'une jardin de rêve, où poussent les essences précieuses et les fleurs rares, un jardin d'Italie. Il s'y promène avec Isabelle, avec Hélène, avec ses enfants.

Il le rêve (et le peint) en Jardin d'amour, ce jardin qu'il délaissera pour courir l'Europe, pour se faire diplomate, pour courir de Londres à Madrid, entre Buckingham et Philippe IV, entre l'infante Isabelle et Frédéric de Nassau. C'est le plus insolite des Rubens, celui qui, fait chevalier en Angleterre et en Espagne, peut porter l'épée, celui qui obtient la signature entre ces deux pays d'un traité qui est la plus inattendue de ses œuvres. Temps perdu ? Pas vraiment puisque l'atelier continue de tourner. Autre manière d'embrasser le monde pour celui qui avait dit : "Je considère le monde entier comme mon pays et je crois que je devrais être le bienvenu partout".


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Image: Rubens à la Cathédrale d'Anvers, photo ChS

Bonnard, dans l’exaltation de la couleur














Pierre Bonnard n’était pas un bavard, c’était plutôt un taiseux, mais dans ses Carnets, ou dans des lettres, il a glissé quelques petites phrases, anodines en apparence, mais qui finissent par constituer une manière de philosophie de l’art, en tout cas la sienne. Par exemple, à son neveu Charles Terrasse,il écrit en 1933: "Je travaille beaucoup, de plus en plus enfoncé dans cette passion périmée de la peinture. Peut-être en suis-je, avec quelques autres, l’un des derniers survivants".

Bonnard savait très bien le reproche qui courait parmi la critique: qu’il était un peintre à l’ancienne, qu’il n’avait pas fait avancer d’un pouce la modernité, un de ces peintres pratiquant "un divertissement anodin réservé à des jeunes filles et à de vieux provinciaux" dont se gaussait Aragon.

Or aucune mièvrerie chez lui. C’est le mot peinture qui compte quand il parle de "passion périmée". La difficulté étant de bien comprendre ce qu’il met derrière ce mot: une confrontation patiente avec la couleur, la ligne, la composition. Si bien que l’on pourrait très bien voir dans les toiles de Bonnard une sorte d’abstraction, d’expressionnisme par la couleur.

Sujets apparents, sujet réel
Toute sa vie, Bonnard représenta son quotidien, tout banal qu’il était, ou du moins s’en inspira, faisant poser Marthe, sa compagne, peignant des salles à manger ou des salles de bains, des après-midi à la campagne, invariablement heureuses et ensoleillées. Sujets apparents de sa peinture.
Car voici ce que dit Dina Vierny, qui posa pour lui dans les années 40: "Bonnard était habité par quelque chose. Chaque artiste a sa boule. C’est très difficile de la sortir, elle est pleine d’angoisse. Le monde de Bonnard est un monde particulier. Où l’insouciance n’a pas sa part".

Oui, le cliché Bonnard-peintre-du-bonheur ne tient pas la route. Le sujet du tableau n’a qu’une importance anecdotique, ce n’est que prétexte.
Ne pas oublier que Bonnard ne peint jamais sur le motif, il croque au crayon un corps, un paysage, il note des couleurs (car il dit n’avoir pas cette mémoire-là), puis c’est en atelier, en un lent tête-à-tête avec la toile que se déroule le dialogue avec la couleur, la mise en œuvre de l’idée qui fut au départ du tableau, idée fugace, qu’il faut retrouver dans sa fraîcheur naissante. Un sentiment, un souvenir, une impression, exaltés par la couleur. Sujet réel.

Mélancolie
D’autres phrases:
"Le modèle qu’on a sous les yeux et le modèle qu’on a dans la tête",
"Conscience: le choc de la sensation et de la mémoire".
Angoisse, disait Dina Vierny. Il y a une expression frappante de Proust (l’écrivain préféré de Bonnard) dans l’épisode de la madeleine: "Insaisissable tourbillon des couleurs remuées".
Comme si Proust assimilait les images et les sensations ressurgies par le miracle de la mémoire involontaire à ce qui se passe sur un tableau, par exemple de Bonnard, Bonnard qui, quand il pose ses couleurs évoquant un jardin ou le balcon de Vernonet ou le mimosa du Cannet semble habité par le désir de rappeler d’anciens et insaisissables bonheurs, attachés à de très heureuses journées d’été. La palpitation des couleurs n’est peut-être rien d’autre que le vacillement de la mémoire. Et l’image éblouissante, c’est cette minute dont parle Proust, "une minute affranchie de l’ordre du temps".
L’œuvre d’art, un arrêt du temps. Cette phrase-ci est de Bonnard.


Article écrit pour une Humeur Vagabonde consacrée à Bonnard sur RSR Espace 2
(Image: Bonnard au Metropolitan, photo ChS, avril 2005)

samedi 29 novembre 2008

Un chagrin virgilien














Il faut aimer Les Troyens.
Évocation de Berlioz après leur refus par l’Opéra de Paris (c’est Liszt qui écrit) : « Notre pauvre ami Berlioz est bien abattu et rempli d’amertume. Son intérieur lui pèse comme un cauchemar. J’ai dîné chez lui. (…) C’était morne, triste et désolé. L’accent de la voix de Berlioz s’est affaissé. Il parle d’habitude à voix basse, et tout son être semble s’incliner vers la tombe. Je ne sais comment il s’y est pris pour s’isoler de la sorte ici. De fait, il n’a ni amis, ni partisans, ni le grand soleil du public, ni la douce ombre de l’intimité. »
Cette voix basse, ce corps qui s’incline, cette tristesse : c’est comme si la mélancolie des Troyens avait déteint sur lui.

Oui, mélancolie. On croit que Les Troyens sont une grande machine. Mais non ! C’est un opéra de l’intimité, de la solitude, du désespoir. Et Berlioz, blessé, n’y parle bien sûr que de lui.

Choses brûlantes
Car Cassandre, c’est lui, naturellement, et Didon aussi. « Les sentiments qu’ils s’agit d’exprimer m’émeuvent trop. Cela ne vaut rien. Il faut tâcher de faire froidement des choses brûlantes ». Et s’il est beaucoup de vers très plats dans Les Troyens, combien de superbes…
C’est le temps de mourir et non pas d’être heureux
Ou
Hélas ! Garde tes pleurs, veuve d’Hector,
À de prochains malheurs tu dois bien des larmes amères…

… où l’on entend sa voix. Que disent-ils ? La fin de toutes choses, l’inéluctable destin, l’injustice des dieux, l’abandon. À la fin du livret, il copiera ces mots de Virgile : « Quidquid erit, superanda omnis ferendo fortuna est » (Quoi qu’il arrive, on doit vaincre le sort en supportant ses coups).

Une voix au milieu des tempêtes

Opéra de l’intimité, disait-on plus haut. Un peu par paradoxe, car certes on y entend passablement de tintamarre (souvent très beau, et parfois tout simplement grand). Au milieu duquel parfois une voix s’élève, une solitude.
Qu’on écoute le final du premier acte : au loin, les premiers accents de la Marche fameuse (Berlioz organise la stéréo hollywoodienne de son passage de droite à gauche), c’est l’entrée dans Troie du cheval de bois. Tout près de nous, seule, Cassandre, soutenue par l’orchestre de fosse qui exprime son âme tourmentée et son effroi : « Ma voix se perd !... Plus d’espérance ! / Vous êtes sans pitié, grands dieux, / Pour ce peuple en démence ! ». Elle entrevoit sa mort, elle la désire, elle y entraîne les Troyennes. Sa voix prophétique devient celle des femmes violées de toutes les guerres. Voix solitaire. Émotion.

Voir la nuit, entendre le silence

Au reste, le mélange des tons et des genres, c’est le côté shakespearien des Troyens (« J’ai mis au pillage Virgile et Shakespeare »). À la fin, le spectateur aura eu son content de surnaturel, de spectre d’Hector sur fond de cors bouchés (« une idée musicale étrangement solennelle et lugubre »), de serpents surgis de nulle part et terrassant Laocoon, d’ombres fantomatiques ordonnant à Enée de partir. Mais la magie est ailleurs.

Elle est, quand passent Andromaque et de son fils Astyanax, et que tout se tait, dans la poignante clarinette qui dit la douleur de la veuve d’Hector.
Elle est dans la scène («un simple mirage d’amour ») entre Didon et sa sœur Anna : « Une étrange tristesse sans cause, tu le sais, vient parfois m’accabler », se plaint la reine et Anna de lui répondre : « Vous aimerez, ma sœur ».
Elle est dans le septuor qui précède le grand duo : une grosse caisse très douce qui donne un sentiment d’immensité, les trilles d’un piccolo et d’une flûte à l’unisson, et les voix nues de Didon et Enée chantant une barcarolle. « Il me semble qu’il y a quelque chose de nouveau dans l’expression de ce bonheur de voir la nuit, d’entendre le silence et de prêter des accents sublimes à la mer somnolente ».
Cette mélancolie profonde et voluptueuse n’est qu’à Berlioz (Premiers transports que nul n’oublie dans Roméo, D’amour l’ardente flamme dans La Damnation).

Le destin et la mer
Temps suspendu de la Nuit d’amour et d’extase infinie, sur des vers empruntés au Marchand de Venise et « virgilianisés » (dit-il). Au lendemain de la mort d’Harriett Smithson, Berlioz écrivit à son fils : « Tu ne sauras jamais ce que nous avons souffert l’un par l’autre, ta mère et moi. (…). Il m’était aussi impossible de vivre avec elle que de la quitter. » Harriett, pour la génération romantique et Berlioz, c’était Juliette et Ophélie. Deux ans plus tard, c’est par ce chant d’amour à deux qu’il commença de composer son opéra.

Oui, il faut aimer Les Troyens. Pour tout ce que Berlioz y a caché de détresse et d’aveu. Ce drame du destin (car Enée n’est que de passage, la mer l’amena et la volonté des dieux l’emporte), tout enfant, Berlioz l’avait lu avec son père dans Virgile. Un soir, arrivé au vers Quaesivit caelo lucem ingenuitque reperta, l’image de Didon « qui cherche aux cieux la lumière et gémit en la retrouvant » le fit frissonner. Alors son père ferma le livre, en disant : « Assez, mon enfant, je suis fatigué ! » « Et je courus, loin de tous les yeux, me livrer à mon chagrin virgilien. »

Article écrit pour La Grange, journal du Grand Théâtre de Genève, n°91

Image: Yannis Kokkos, metteur en scène des Troyens à Genève, photo ChS

jeudi 27 novembre 2008

Jean Buhler, écrivain, bourlingueur


Truculent, généreux, hors norme,
un considérable bonhomme !


On l'écoute parler (fabuler ?), on a l’impression d’écouter Cendrars

Un diable d’homme. 87 ans. Barbe généreuse, stature imposante, plaisanterie facile, parler fruité. Comme son style.

Un bourlingueur inlassable, depuis son premier voyage, initiatique évidemment, à pied, vers l’Albanie par l’Italie. Sans le sou, bien sûr. La vie là-bas, les Tziganes à longs cheveux, une femme aussi. Il faillit s’y installer. Mais son destin était de partir: l’esprit de fuite, les semelles de vent.

Puis ce fut toute la terre, et l’écriture, et la photo. La photo pour garder trace de ce qui déjà était en grand danger de disparaître. Mais surtout l’écriture. Une trentaine de livres, et 6 ou 7000 articles, il ne sait plus. Écrire, son vrai métier (outre courir le monde et regarder).

Né à La Chaux de Fonds, il aurait pu choisir Le Corbusier pour saint patron, mais la ligne droite ne fut jamais son genre. Donc il choisit Frédéric-Louis Sauser, un garçon de là-haut lui aussi, assez fameux pour son imagination et sa faconde, qui connut une certaine réussite dans les lettres sous le nom de plume de Blaise Cendrars.

Pas mal comme divinité tutélaire ! Buhler, qu’il écrive ou qu’il cause, n’en est pas indigne.

Bibliographie succincte
Sur la Route. Editions D’autre part, 2006
Les Sables du Temps. Nouvelles. Editions G d’Encre. Le Locle, 2006
Le Pope de Chimère. Roman. L’Aire, 2001
Sur les routes d’Europe. Payot.
Sur les routes d’Afrique. Payot.
Sur les routes de l’Atlantique. Payot.
Nord-Sud-Ouest-Est. La Baconnière

(Image: Jean Buhler en juin 2006, photo ChS)

mercredi 26 novembre 2008

Antoine Poncet, sculpteur


Dans la lignée de Brancusi et de Jean Arp, un maître de la forme pure.

Ses marbres, ses bronzes parfaits s’élancent, s’envolent, ont la force de l’évidence.

La recherche de la perfection (de l’absolu, disait Balzac), de l’équilibre, de l’harmonie, du rythme, de la ligne… Les métaphores musicales conviennent parfaitement au travail du sculpteur. Bien qu’octogénaire, Antoine Poncet est toujours à la poursuite de la forme idéale.

Qu’est-ce qu’une forme parfaite ? Difficile de l’exprimer en mot. La satisfaction de l’œil, et de l’esprit aussi ? Une quête jamais achevée semble-t-il.

La sculpture est un art mystérieux, salissant, fatigant, coûteux, difficile, immémorial. Art qui aspire à être hors du temps. Art qui joue avec le temps autant qu’avec l’air et l’espace. Les gestes du sculpteur d’aujourd’hui ne sont pas différents de ceux de Michel-Ange ou de Rodin. La pureté des formes d’un Arp (dont Antoine Poncet se veut l’héritier) renvoie à la perfection des idoles cycladiques.

Petit-fils d’un peintre (Maurice Denis), fils d’un peintre (Marcel Poncet), père d’un musicien (Mathieu Poncet), Antoine Poncet, demi-suisse, demi-français, continue dans son petit atelier parisien ou dans celui, plus grand, de Saint-Germain-en Laye (qui fut l’atelier du peintre nabi), de pétrir la glaise, qui deviendra plâtre, qui deviendra bronze.
Ou qui, sous la main de "praticiens" toscans, deviendra marbre.

Antoine Poncet a-t-il communiqué sa sérénité à ses œuvres ? Ou est-ce l’inverse ?

Yala


Moi aussi, j'ai un souvenir d'elle. Je l'avais rencontrée en juin 2002. Et peu après j'avais rédigé la chronique suivante

C’est une toute petite vieille dame, petite par la taille, mais grande à tous les points de vue. J’avais appris qu’elle venait en Suisse romande, on a trouvé un numéro de téléphone ; qui ne risque rien n’a rien, je l’ai appelée ; c’est elle qui a répondu, elle a accepté le principe d’une émission qu’on enregistrerait pour cet été et elle est arrivée ; c’était à notre studio de Genève.
Moi qui ne suis pas très familier des religieuses, je lui ai dit: Bonjour ma sœur, elle m’a répondu: Quel est ton prénom ? Et elle m’a dit: Donne-moi ton bras. Clopin-clopant, nous sommes allés jusqu’à un fauteuil. Elle était évidemment absolument identique à ce que nous avions, vous et moi, vu sur des dizaines d’écrans de télévision. Les lunettes bancales, la blouse grise, le voile tenant avec des épingles. Il y avait là la réalisatrice de l’émission. Et la petite dame lui a demandé: Quel est ton nom ? Et Luisa a répondu: Luisa. -Tu as des enfants ? Combien ? Et la dame en gris, avec ses drôles de chaussures pour pieds douloureux, me dit alors : Nous sommes trois personnes, Luisa, Charles et Emmanuelle et Dieu nous aime chacun individuellement, pour nous-même, tels que nous sommes. Il y a eu un silence… Elle avait eu sa petite voix haut perchée, elle était à la fois grave et joyeuse.
Elle a picoré un bout de quiche lorraine, un biscuit, un peu de jus d’orange, un demi-verre de thé, toujours parlant, tout entièrement attentive et présente. On s’était entre-temps installé devant les micros. Alors, elle a dit des choses profondes et simples sur l’amour, sur les hommes qui ont besoin de deux choses, d’amour et de justice, pas de charité. Elle a beaucoup parlé de joie, de ses frères des bidonvilles du Caire, elle a dit des choses étonnantes, qu’on parlait toujours de péché, qu'il fallait arrêter, il fallait parler d’amour, parce que le péché c’est macabre.
De l’autre côté de la vitre, toute la radio venait écouter la petite voix et regarder cette vieille petite dame si concentrée, si dense, si forte. Elle parlait, parlait toujours des religions orientales, de St-Jean Chrysostome, des coptes d’Egypte, sans cesse le mot fraternité revenait dans sa bouche, puis elle buvait une gorgée de thé, rajustait son voile gris et parlait de ses frères juifs et de ses frères musulmans et disait que ce qu’elle avait voulu être, c’était la sœur universelle, et elle racontait qu’à son âge, quatre-vingt-treize ans (et elle corrigeait poliment nonante-trois ans), elle se rendait utile en visitant, dans des prisons des gens qui avaient tué, parce qu’elle-même aurait très bien pu en faire autant. Et qu’est-ce que vous leur dites ? -Oh, je ne leur dis pas grand chose, je les écoute.
Elle parla aussi des SDF dont elle s’occupait. Et quand venaient des plages musicales, elle était tout entière refermée sur elle-même, absorbant la musique, tout entière présente dans son écoute, comme elle était tout entière présente dans ce qu’elle disait quand elle parlait. À la fois radieuse et touchante, solide aussi, et un peu frileuse, elle avait enfilé un lainage grisâtre tricoté main, elle parlait des vœux d’obéissance (ce qui n’était pas tellement son fort), de chasteté, des milliers d’enfants dont elle s’était occupée, ne regrettant pas les enfants qu’elle n’avait pas eus personnellement. Et puis sœur Emmanuelle repartit le pied toujours un peu flageolant, mais la volonté intacte.
Pendant toute la première partie de sa vie, elle avait été enseignante, à Istanbul, à Tunis, à Alexandrie, toujours en terre musulmane, et elle avait parlé de ce Coran qu’elle avait lu en arabe et qu’elle connaissait bien et qui était un texte de paix, elle le savait, il fallait arrêter de colporter des bêtises. Puis, la retraite venue, elle avait voulu se rendre utile et, à 62 ans, elle avait commencé à vivre dans les bidonvilles, puis parmi les chiffonniers du Caire. Elle avait retardé le plus possible le moment de revenir en Europe, où elle trouvait encore le moyen de s’occuper de ceux que personne ne voulait voir.
Elle repartit clopinant sur un boulevard genevois ; au carrefour, les affichettes des journaux parlaient beaucoup du quadriceps de Zidane et pas beaucoup du sommet de la FAO qui allait s’ouvrir à Rome, ni des huit cents millions d’humains -ça fait beaucoup de monde quand même- qui continuaient à être sous-alimentés. La vieille petite dame qui avait voulu se faire sœur universelle tourna le coin de la rue, avec son vieux gilet gris tricoté main d’extraterrestre.
Le dernier mot qu’elle avait dit dans le tambour de la porte, c’était un de ses favoris: Yala ! Ça veut dire : En avant !

mardi 30 septembre 2008

Je me souviens de Zeev Sternhell


On a appris, voici quelques jours, qu'il avait été victime (légèrement blessé seulement) d'un attentat visant sa maison à Jérusalem. Voir la dépêche de l'AFP : http://afp.google.com/article/ALeqM5iTe385jxkFkkCW3v0Q-zeeyv1yCQ

Et le souvenir m'est revenu d'une après-midi passée avec lui à Paris autour de son livre consacré aux "anti-Lumières" (Les anti-Lumières: du XVIIIe siècle à la Guerre froide, Fayard, 2006).

Je me suis rappelé sa gentillesse, son érudition, sa simplicité cordiale, sa douceur, la force de ses convictions, sa démarche de jeune homme sur l'avenue Félix-Faure, son coupe-vent bleu...

Et sa parfaire connaissance de l'histoire française. Historien des idées. Historien des mentalités. On pourrait dire historien tout court, nul ne connaissant mieux que lui ce qui s’est passé en France depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’aujourd’hui. Les droites françaises, et notamment les droites extrêmes, c’est le terrain de ses recherches.

Et puis il y a l’homme, son parcours, l’enfance polonaise pendant la guerre, la mort des parents, l’exil dans un train de la Croix-Rouge, l’adolescence en Provence, l’installation en Israël en 1951, la carrière universitaire, qui l’amène à enseigner un peu partout, aux États-Unis notamment.

Et il y a son engagement politique, au sein du mouvement La Paix maintenant.
De nombreux articles de journaux (dans le quotidien Haaretz notamment), de multiples prises de position en faveur de négociations avec les Palestiniens font de la voix de Zeev Sternhell une voix qui compte, parmi d’autres bien sûr, dans son pays et qui finira, c’est inéluctable (voir le discours de David Grossman), par être entendue


Discours de David Grossman prononcé le 4 novembre 2006 http://www.lapaixmaintenant.org/article1430

Quelques autres livres
Maurice Barrès et le nationalisme français, La France, entre nationalisme et fascisme, Presses de Sciences-Po, 2000
La droite révolutionnaire, Folio Histoire
Ni droite ni gauche, l'idéologie fasciste en France Complexe Éditions, 2000
Naissance de l'idéologie fasciste avec Mario Sznajder et Maia Asheri, Folio Histoire
Aux origines d’Israêl, Folio Histoire

Tout un monde (une lettre à Hugues Cuenod)


Je retrouve cette chronique, que j'avais écrite sous forme de lettre ouverte, en juin 2002, et cette photo que j'avais faite, chez lui, plus tard, en octobre 2005 (il avait donc 103 ans).


Cher Hugues Cuenod,
On va beaucoup vous fêter cette semaine... un grand raout mercredi soir à Vevey... des émissions sur Espace 2... Cent ans, c’est une jolie performance, bien sûr, et si on peut les fêter comme vous dans une forme étonnante, c’est parfait ! Mais si le coup de chapeau est unanime, cet anniversaire, cher Hughie, comme disent vos amis, n’est je crois qu’un prétexte. Un chiffre rond n’est jamais qu’un chiffre rond ! C’est qu’il y a, voyez vous, autre chose. Une question de style peut-être. Ou alors ce sentiment étrange d’avoir devant soi quand on vous regarde une sorte de phénomène, un témoin, le dernier représentant d’une certaine culture, d’une manière d’être, d’une grâce disparues.
Étonnante silhouette, toute en jambes, vaguement anglaise d’allure (d’ailleurs vous dites être fier de vos origines et de votre éducation un peu anglaises, mais même en Angleterre il n’y en a plus des comme vous, si tant est qu’il y en ait jamais eu... l’œil rond, comme étonné d’être là, étonné de nous voir... disant des choses que personne n’oserait dire : “Je suis très superficiel, je n’ai jamais eu le moindre problème existentiel ; je suis bien élevé, je me conduis aussi bien que possible ; je n’aime pas les gens qui approfondissent tout : plus je vieillis et plus des gens comme cela m’ennuient. J’ai toujours été un instinctif qui a réussi à faire quelque chose dans sa vie un peu par hasard...”
Est-ce que c’est vrai, est-ce que c’est faux ? On n’en sait rien, c’est le personnage que vous avez décidé de jouer une fois pour toutes, faisant le choix d’éviter tout ce qui pèse... Définitivement dilettante ! Mais, quand on vous voyait chanter la Mort de Socrate de Satie ou l’Évangéliste, on vous voyait transfiguré par une gravité qui métamorphosait votre voix, votre allure, votre visage.
“On ne le reconnaît pas quand il chante”, c’est Poulenc qui disait cela à votre propos, Poulenc qui était comme vous étrangement dédoublé, à la fois grave et léger, d’une autre époque...
Vous entriez en scène, pour un récital de mélodies par exemple, avec vos vieilles partitions, toutes crayonnées de bleu, de rouge, et vous chantiez, droit, franc, à tue-tête, sans affectation, en donnant à chaque syllabe, à chaque consonne sa couleur, son attaque, la ponctuation parfaitement en place, un point-virgule n’étant pas un point. Vous chantiez dru, grammaticalement... C’est un mot que vous répétiez volontiers, grammaticalement, comme pour dire : moi je ne m’y connais qu’en analyse logique, le reste je n’en parlerai pas, j’aurais trop peur d’être ennuyeux...
Vous étiez d’un époque où l’ennui était quelque chose comme un crime, pire que cela : une faute... L’époque de Madame Verdurin qui le traquait avec détermination... Vous voyez, on parle de vous et tout naturellement on parle de Proust... Vous avez longtemps été le voisin à Vevey de Paul Morand qui l’avait bien connu, vous aimiez qu’il vous parlât de la drôlerie de Proust. A vous entendre, vous échangiez des anecdotes épatantes, il était comme vous un visuel, il avait une mémoire à toute épreuve, il se souvenait de Mary Garden dans Pelléas, de Vienne en 1925, de soirées délicieuses, passées avec des gens exquis, des mille choses qui, comme vous, l’avaient intéressé... “Un musicien centré exclusivement sur son art risque d’être sec”, dites-vous... Un jour, lors d’une masterclass, vous avez conseillé à un jeune chanteur qui passait complètement à côté des mélodies de Don Quichotte à Dulcinée de Ravel d’aller au musée voisin voir le Don Quichotte de Daumier. Vous dites aussi que vous n’aimez pas du tout Van Gogh et pas beaucoup Rembrandt, trop de matière chez le premier, trop de confusion chez le deuxième, vous préférez Vermeer et Georges de la Tour. Finalement c’est une assez bonne manière de suggérer qui vous êtes, ce que naturellement vous n’auriez jamais consenti à dire vraiment. Vous étiez du côté de Bach et de Mozart, plutôt que de celui de Beethoven et de Berlioz, vous dites aussi de Monteverdi qu’il fut le principal compositeur de votre vie, lui que vous avez été un des premiers à chanter avec Marie-Blanche de Polignac, Gisèle Peyron, Paul Derenne et Doda Conrad, sous la férule de Nadia Boulanger, la chère Nadia avec son pince-nez et ses robes noires d’institutrice méritante.
Oui c’est un peu du name dropping ce que je suis en train de faire, vous savez bien : ça consiste à lancer des noms propres, mais dans le fond oui c’est assez cela : vous qui dites ne rien aimer tant que d’être seul, c’est toute une société que vous symbolisez pour nous, Stravinsky, Britten, Cocteau, Visconti, c’est Glyndebourne où vous avez chanté 463 fois, ce sont ces rôles, marginaux, parfois minuscules, Basile des Noces de Figaro, M. Triquet d’Eugène Onéguine, M. Taupe de Capriccio, la vieille nymphe Linfea de la Callisto, le Bègue de La Fiancée vendue, Torquemada dans L’Heure espagnole... A chaque fois, vous y faisiez un malheur, c’est ce que vous appelez prendre le raisin dans le petit pain...
On appelait cela jadis des personnages de composition. Cher Hugues Cuenod, je suis comme tout le monde, je ne sais pas grand chose de vous, je ne connais finalement que le personnage de composition que vous avez toute votre vie mis au point patiemment. En somme c’est ce que nous faisons tous, avec plus ou moins de réussite, pour nous protéger. Vous, c’est parfait, des anecdotes, des bons mots, un détachement joué avec élégance, vous avez traversé le vingtième siècle, si lourd, vous commencez avec nous le vingt et unième qui s’annonce pire...
Au fond c’est du dix-huitième que vous venez, hédoniste, ironique et tendre. Carmontelle aurait dessiné votre sourire, en même temps que celui de Mozart et de Voltaire, de là vous seriez passé rue de Rome un mardi chez Mallarmé, avant de retrouver M. de Charlus chez la princesse de Guermantes ; avec lui vous auriez fait l’appel des absents, Hannibal de Bréauté, Charles Swann et les autres... Vous savez, c’est le moment dans le Temps retrouvé où le narrateur évoque le “tintement rebondissant, ferrugineux, intarissable, criard et frais“ de la sonnette qui, quand il était enfant, annonçait l’arrivée de M. Swann, souvenir à jamais hors du temps... Cher Hugues Cuenod, merci par votre seule grâce de nous installer quelques instants hors du temps.
Charles Sigel

(Chronique diffusée dans les Matinales d'Espace 2 le 24 juin 2002)

lundi 29 septembre 2008

Horatiu Radulescu, musicien spectral


Il est mort le 26 septembre à l’âge de 66 ans.
Il avait été l’invité de Comme il vous plaira le 25 mars 2007. Je me souviens qu’il avait posé pour la photo avec un rien de complaisance, qu’il s’était fait une gueule pour l’objectif…

Roumain d’origine, français de nationalité, vaudois de résidence (depuis une petite dizaine d’années, naguère à Clarens, puis à Montreux), Horatiu Radulescu était un compositeur des plus singulier.

Continuateur des grands maîtres et radicalement nouveau, membre (et même précurseur) de l’école «spectrale» (avec Tristan Murail et Gérard Grisey), une école qui travaille sur la nature intime du son et sur toutes ses composantes (vibrations, ondulations, harmoniques, résonances…), ce Roumain de la Riviera était tranquillement ignoré par les Romands !

Ses compositions, souvent pour des instrumentariums inouïs, jouent avec les lieux, l’acoustique, l’environnement et d’abord les paysages ou les visions cosmiques qui les inspirèrent.
Il s’inscrivait dans la continuité de la musique européenne, de Roland de Lassus jusqu’à Webern.

Ajoutons que (contrairement à ce que la photo voudrait faire croire…) c’était le plus souriant des hommes (!) et qu’il savait généreusement faire partager ses goûts musicaux et commenter sa musique et son amour du son, conçu comme un microcosme reflet du macrocosme… Il avait la tête quelque peu dans les étoiles…


Biographie et catalogue d’Horatiu Radulescu
http://site.blabla4u.com/homesites/site.asp?WebsiteID=8245

L'atelier de Claude Lebet, luthier à Rome


Heureux comme un luthier à Rome !

Claude Lebet, le luthier de La Chaux-de-Fonds, s’est installé non loin du palais Farnèse, dans un quartier où les artisans sont encore nombreux.

Dans son atelier, au rez-de-chaussée du Palazzo Ricci, avec ses compagnons Dalibor et Mathias, avec Jacques l’archetier, il reçoit tout au long de la journée les violonistes, les altistes, les violoncellistes qui viennent choisir un instrument ou faire réparer et régler le leur.


Les établis, les varlopes, l’armoire aux vernis, les vitrines où sont suspendus les violons, le coffre-fort où les plus précieux sont rangés, les tiroirs aux archets, la réserve de bois, le réchaud pour les colles, voilà le décor de cet étrange métier, inchangé depuis trois ou quatre siècles.

L’épicéa pour la table (et pour l‘âme, ce bâtonnet dont tout dépend), l’ébène pour la touche, les crins pour les archets, voilà pour les matériaux.

Et puis le souvenir de vieux maîtres toujours vénérés, qui n’avaient pas de secret, mais avaient du génie, Amati, Stradivarius, Guarnerius del Gesù... Ajoutons-y l'indispensable : beaucoup de temps, de patience et de passion.


Dehors, les Vespas romaines, les couleurs de Rome, les tables de la trattoria sur la place. À l'intérieur, les plaisanteries, le compagnonnage, l’expérience transmise, quelques simples (?) morceaux de bois en un certain ordre assemblés et, bien sûr, la musique.


Jetez un coup d'œil au diaporama... et cliquez sur les images pour les voir en plus grand

Le portrait de Claude Lebet a été diffusé le 20.11 2005 dans Comme il vous plaira

Yves Dana, sculpteur


Dans son atelier de Mon repos à Lausanne, rencontre le 12 octobre 2008 avec un créateur en pleine maturité
Un art puissant, serein, issu d’un combat, plutôt sportif, avec la matière : le grand métier de la sculpture

L’homme est plutôt frêle, pas bien grand… Les sculptures, du moins certaines, sont imposantes, monumentales. Des totems, des stèles, où le temps est à l’œuvre, parfois rongés par l’usure, par le temps, face à l’éternel…

Un œuvre qui a de la puissance, une force intérieure… Des pièces qu’il faut faire surgir de la matière.

Il y eut le métal, puis le bronze, puis la pierre, trois étapes, trois manières de lutter avec les formes ou de les apprivoiser. Le métal c’était la soudure, l’assemblage, des pièces hérissées, heurtées ; le bronze, c’étaient des formes issues du plâtre ou de la glaise, une manière de sérénité (influencée par la découverte de l’Egypte) ; la pierre, le marbre, c’est le corps à corps avec le minéral, c’est la poussière, le bruit, une manière de combat, pour aboutir à une certaine sérénité, en tout cas à quelque chose d’essentiel.

Aux approches de la cinquantaine, Yves Dana semble serein, même s’il doute continuellement. Prêt peut-être pour un nouveau virage, pour des audaces à venir ? Tout ce qu’il semble craindre, ce serait de devenir trop sage. C’est pourquoi sans doute il malmène ses pierres, de crainte qu’elles ne paraissent lisses ou immuables. Comme pour les mettre en danger, leur instiller de l’incertitude.

Noemi Lapzeson, danseuse et chorégraphe




Au-delà de son apparente fragilité, une femme d’une force impressionnante

Portrait intime et évocation d’un parcours singulier


Étonnante, l’énergie que dégage cette petite femme, presque frêle qui, sans qu’on le lui ait demandé, se déclare «triste».


Triste on ne sait pas, en tout cas austère, grave (mais le regard lumineux, le sourire aussi). Le corps en morceaux, dit-elle, à cause de la danse, cassée de partout, fatiguée, brisée (et pas seulement physiquement).


Solitaire aussi. Seule, même si entourée d’amis, de partenaires, d’élèves.


Paradoxe, elle est émouvante même quand elle ne bouge pas. À cause de l’énergie, de la tristesse et des cassures peut-être.


Débarquée un jour de 1980 à Genève, un peu par hasard, après Buenos-Aires (ses racines), New York (où elle appartint dix ans durant à la Compagnie de Martha Graham) et Londres (où elle ne trouva pas ses marques), elle y a conquis sa place, difficilement: la ville ignorait à peu près tout alors de la danse contemporaine.

En collaboration avec d’autres ilotes passionnés de modernité, Contrechamps notamment ou Jacques Demierre, Noemi Lapzeson a creusé son sillon et installé sa propre compagnie, Vertical Danse, créée en 1989, dans le sage paysage artistique local.


Les mots de souffrance, de désarroi, de désespoir même viendrait facilement à l’esprit pour évoquer la danse selon Noemi, mais on préfèrera émotion, chant profond, inexprimable sinon par le geste. Et la musique, bien sûr.


Monteverdi, Purcell, Berio, Castiglioni, Bach: faire surgir de ces musiques le geste qu’elles contiennent, qui les exprime, suggérer ce qu’elles pourraient dire, mais aussi faire surgir la danse du silence ou des mots de la poésie, tel serait le défi, tel serait le désir et, peut-être, le plaisir.


Sur Espace 2, le dimanche 5 octobre à 13h30