dimanche 30 novembre 2008

Ce vice impuni
















La plus mignonne des petites souris, connaissez-vous cela ? La plus mignonne des petites souris, c’est l’entête d’un paragraphe que j’aime beaucoup du Dictionnaire égoïste de la Littérature française de Charles Dantzig (chez Grasset).
Oui, parce que figurez-vous qu’on avait demandé un jour à François Mitterrand (on, c’est Élie Wiesel) quels étaient les premiers livres qu’il avait aimés et Mitterrand pompeusement avait répondu Balzac, Stendhal, Flaubert “ceux de la bibliothèque de mon père”. Et là Dantzig répond : “Arrêtez votre pipeau, moi mon premier livre à moi, c’est La plus mignonne des petites souris...”
C’est celui qu'il adora quand il avait cinq-sept ans, celui où il prit le goût de lire, l’étrange folie d’aimer lire.

Parenthèse : moi qui vous parle, au même âge c’était Les huit poneys de Martangy, un livre de la petite collection Rouge et or, l’histoire d’un petit blond (sans doute que j’aurais voulu être un petit blond) qui dressait les poneys broutant dans le pré d’à côté, et ce cirque improvisé devenait un triomphal succès, qui valait au petit garçon d’être aimé de tous ceux qui n’avaient pas cru en lui et, conséquence de cela, désormais mon projet dans la vie, ce fut de devenir n’importe quoi dans un cirque, clown, acrobate, jongleur, monsieur Loyal... si bien que dès qu’un chapiteau, Pinder ou Amar, arrivait sur la place, je fonçais voir les monteurs dresser la toile, des fois qu’ils m’emporteraient, rien n’étant plus beau qu’une vie d’aventures dans une roulotte. Car tels sont les prodiges de la littérature.

On aurait bien du mal à résumer ici le livre de M. Dantzig, 960 pages, qui ressemble parfois à un tir aux pigeons, quelques-uns en prennent pour leur plumage et leur ramage, Aragon, Beauvoir, Breton, Colette, Gide, Rousseau, Yourcenar -pas grave ! ils s’en relèveront- et puis c’est le droit de tout un chacun, c’est même un devoir d’avoir quelques solides détestations, d’autant que pour ce qui est de Charles Dantzig, il en est beaucoup qu’il aime, des écrivains, qu’il idolâtre même, Proust au premier rang (j’adore cette définition : Proust, Marcel : écrivain austro-hongrois ayant écrit en français).

Enfin, bref, c’est un dictionnaire, et quoi de plus exquis que de laisser aller au feuilletage indolent. Savez-vous à ce propos qu’il se vend chaque année en France 700 000 Petits Larousse, ce qui est le nombre de naissances dans ce pays qui se dit littéraire (ou se disait tel), et où en tout cas chaque bébé naît avec un dictionnaire dans son moïse.
Pour tout dire, ce M. Dantzig (qui travaille comme éditeur chez Grasset) est une sorte de descendant des Hussards, Blondin, Déon, Jacques Laurent, etc., donc il aime Stendhal, Larbaud, Montherlant, Chamfort, Benjamin Constant ou Paul-Jean Toulet, mais aussi Jules Laforgue et Diderot, il aime ces vieux mauvais livres qu’on retrouve dans les bibliothèques des maisons de campagne, il aime le style sec, il déteste le pathos et les donneurs de leçons, il aime les titres de Frédéric Dard, le genre Bouge ton pied que je voie la mer ou Remets ton slip, gondolier, et ainsi de suite, 960 pages d’amour de la lecture et des livres, on n’en finirait pas.

Il raconte qu’autrefois (il a aujourd’hui la quarantaine) autrefois dans son placard à secrets de tout jeune homme, il y avait La vie antérieure, de Baudelaire, recopiée au dos d’un poster (donc domaine privé) et qu’il y avait au fond dudit placard, gravées sur le mur et cachées par des livres, des initiales, celles des très aimés : O.W. pour Wilde, J.L. pour Laforgue, F.S.F. pour Francis Scott Fitzgerald et H.M. pour Montherlant.

Livre agaçant (par bonheur !), insupportable parfois, plein de conseils pour qui voudrait écrire, c’est à dire en somme, et peut-être hélas, à peu près tout le monde. Par exemple, règle n°1, des faits, des faits et encore des faits, jamais d’explication, pas d’idées générales ; le rythme avant tout (pas forcément rapide, c’est une histoire d’oreille musicale) ! Et ceci : Écrire sur les personnages comme on parle des personnes, par bribes, en les découvrant lentement, sinon jamais. On ne sait jamais rien des êtres. Et puis encore : Ce qui a l’air en trop vient souvent de ce qu’il n’y en a pas assez et par exemple Proust se trouve lui-même à partir du moment où il rallonge. Mais la brièveté peut aussi donner des merveilles, tel Diderot à propos du neveu de Rameau : Le matin, il a encore une partie de son matelas dans ses cheveux. Et qu’est-ce qu’on pourrait rajouter à cela ?

Critère du bon écrivain : c’est qu’il donne envie d’écrire. Et qu’est-ce qui fait le bon livre ? En tous cas pas le sujet. Un érudit un jour fit le compte : il trouva qu’il y a 27 situations romanesques, ni plus ni moins. Tout ce qui compte, c’est la manière, appelons cela le style : une belle-mère tombe amoureuse de son beau-fils, ça donne soit Phèdre soit du Feydeau.

Quoi qu’il en soit on écrit trop. Déjà Voltaire disait que si ça continuait comme ça, il arrêterait d’écrire. Et Léautaud affirmait : On ne trouve plus de femmes de ménage, elles écrivent toutes. Léautaud, tiens ! une phrase de lui soulignée par Dantzig : J’aimais déjà les choses légères, vives, railleuses, ce qui est triste avec gaieté, sensible sans emphase. “Ce qui est triste avec gaieté“... C’est charmant. C’est tout à fait nous.

Oui, on écrit trop. Savez-vous qu’entre 1450 et 1550, il parut 35000 livres. 35000 titres s’entend. C’est beaucoup, direz-vous ! Vous plaisantez, ça n’est rien : il en paraît chaque année un million de nos jours. Sur l’ensemble de la planète naturellement, mais elle est minuscule cette planète. Il y a de l’eau partout et d’ailleurs personne ne lit plus. Chaque année en France on édite 500 millions de livres, on en vend 400, donc 100 millions vont au pilon, c’est une affaire entendue, ça figure même au contrat préalable, on en fait des ballots de deux mètres cubes cerclés de fil de fer.
Mais qu’importe le pilon, ce qui compte ce sont les mots : Je t’aimais inconstant, qu’aurais-je fait fidèle? dit Racine dans Andromaque et Guitry, lui: Elle a été très jolie, du moins, j’ai été son amant. “Du moins” est délicieux.

Laisser quelques mots, c’est tout ce qu’on aimerait... De frais parfums montaient des touffes d’asphodèles... Ah ! être Voltaire et avoir dit : Le bonheur est un état de l’âme ; par conséquent, il ne peut être durable. C’est un nom abstrait composé de quelques idées de plaisir.
Être Perrault, celui des Contes et avoir écrit : Il n’est point de laides amours ou avoir soupiré comme Françoise Sagan qui avait à la fois de la grâce et de la négligence, de la mélancolie et du nonchaloir : Ah ! je ne dirai jamais assez les charmes de la vie quand on l’aime !

Chronique dans les Matinales d'Espace 2, 10 octobre 2005
Image: Bibliothèque, Vienne (Autriche)photo ChS

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